Allemagne / Karlsruhe, le 18 Juin
2004
Cour fédérale de Justice
Communiqué de presse N° 72/2004
La Cour fédérale de Justice
renforce les droits des traducteurs
- La Cour fédérale de Justice
rend un jugement dans le procès opposant les éditions
Piper-Verlag et la traductrice Karin Krieger –
La 1ère chambre civile de la Cour fédérale
de Justice, dont la compétence s’étend
entre autres aux droits d’auteur et d’éditeur,
a rendu hier son jugement dans le procès opposant la
traductrice Karin Krieger et les éditions Piper-Verlag
au sujet des traductions de cinq livres de l’auteur
italien Allessandro Baricco, et a ainsi largement confirmé
le jugement prononcé en première instance à
la suite de la plainte déposée par la traductrice.
Les éditions Piper-Verlag avaient conclu
au cours des années 1995 à 1998 plusieurs contrats
avec la traductrice littéraire Karin Krieger, dans
lesquels la traductrice s’engageait à traduire
de l’italien en allemand cinq œuvres d’Alessandro
Barrico. Les contrats ne contenaient aucune disposition formelle
selon laquelle la maison d’édition se devait
de faire paraître réellement les livres de Barrico
dans la traduction de la requérante. La rémunération
- telle qu’elle est communément pratiquée
dans la branche -comportait à un à-valoir calculé
d’après le nombre de feuillets. Chacun des contrats
comportait en outre une stipulation différemment conçue,
selon laquelle la traductrice devait obtenir un à-valoir
proportionnel (minime) à partir d’un certain
nombre d’exemplaires vendus.
La première œuvre, « Seide
» (Soie), parue en février 1997, obtint un écho
exceptionnel, la traduction de la requérante ayant
été à cette occasion particulièrement
louée. Au cours de la première année
de parution, « Seide » atteignit la septième
réédition.
Lorsque la requérante réclama
à la maison d’éditions défenderesse
une participation financière proportionnelle au succès
inattendu (la loi sur les droits d’auteur comporte une
clause qui prévoit pour les cas semblables un réajustement
rétrospectif de la rémunération), la
maison d’édition entreprit des pourparlers avec
la traductrice. Ceux-ci, après quelque temps, menèrent
également à un accord sur une (nouvelle) participation
proportionnelle à l’œuvre « Seide
». Après la parution de deux autres œuvres
dans la traduction de la requérante, l’éditeur,
toutefois, communiqua à cette dernière qu’il
retirait la totalité des œuvres traduites par
la requérante et que les prochaines parutions feraient
l’objet d’une nouvelle traduction. Les deux autres
œuvres, également traduites par la requérante,
mais pas encore parues, « Oceano Mare » (Océan
mer) et
« Hegels Seele oder die Kühe von Wisconsin »
(l’Âme de Hegel et les vaches du Wisconsin) paraîtraient
dans une nouvelle traduction, l’éditeur se référant
à des fautes de traduction quant à la seconde
œuvre.
Par la suite, des négociations ont été
entreprises entre les parties, sans toutefois aboutir à
un accord complet. La procédure judiciaire n’a
pas permis d’éclaircir si un accord partiel avait
été atteint sur certains points.
Outre des dommages et intérêts
et son droit d’obtenir des renseignements, la traductrice
voulait faire valoir ses droits sur trois points: (1) l’éditeur
défendeur devra s’abstenir de publier les cinq
œuvres d’Alessandro Barrico dans une traduction
autre que celle de la requérante, tant que les éditions
traduites par la demandeuse seront sur le marché. (2)
Les œuvres déjà parues « Seide »,
« Land aus Glas » (Châteaux de la colère)
et « Novecento » (Novecento : Pianiste) devront
paraître dans la traduction de la requérante
et ceci, aussi longtemps que la demande correspondante existera.
(3) Les deux œuvres qui ne sont pas encore parues devront
également paraître dans la traduction de la requérante.
Le tribunal régional de Munich I (juridiction de première
instance) n’a donné satisfaction à la
plainte que de façon incomplète. En effet, le
tribunal était parti du principe qu’il s’agissait
d’un accord partiel entre les parties pour l’œuvre
« Seide », car l’édition nouvellement
traduite de « Novecento » n’indiquait pas
clairement qu’il ne s’agissait plus de la traduction
de la requérante et sur la jaquette figurait un extrait
traduit par la requérante. Le tribunal régional
supérieur de Munich (juridiction d’appel) a rejeté
le pourvoi en appel de l’éditeur contre ce jugement.
Cette partie du litige n’était même plus
l’objet de la procédure de cassation devant la
Cour fédérale de Justice (juridiction de révision).
Le tribunal régional supérieur a donné
pleinement satisfaction au pourvoi en appel de la requérante.
Dans sa décision rendue publique hier soir, la Cour
fédérale de Justice a confirmé pratiquement
dans son ensemble l’instance d’appel. Que la Cour
d’appel ait présenté les contrats de traduction
concrets comme contrats d’éditeur, donc comme
des contrats qui imposent à l’éditeur
un devoir d’exploitation, n’est pas contestable.
D’un côté, il est indéniable qu’il
est de l’intérêt de l’éditeur
d’utiliser en toute liberté une traduction qui
puisse influencer de façon durable le succès
d’une œuvre traduite. En ce qui concerne des contrats
de traductions d’œuvres littéraires, les
traducteurs ont toutefois véritablement intérêt
à ce que les traductions qu’ils ont effectuées
paraissent réellement. Dans ces conditions, on ne peut
partir du principe que, dans le doute, de tels contrats de
traductions sont des contrats dits de commande, contrats qui
n’imposent donc aucun devoir d’exploitation à
l’éditeur. Dans ces conditions, que la Cour d’appel
reconnaisse en cas de litige que le devoir d’exploitation
de l’éditeur existe, n’est pas contestable.
C’est uniquement sur un seul point que
la Cour fédérale n’a pas confirmé
le jugement en appel. Dans le jugement rendu par le tribunal
régional supérieur, condamnant l’éditeur
défendeur à présenter également,
aussi longtemps que la demande correspondante existera, les
œuvres déjà parues dans la traduction de
la requérante pour les prochaines réimpressions,
non seulement la sentence rendue est imprécise, mais
il lui manque également une base juridique. Car d’après
la loi sur la publication, dans le doute, l’éditeur
n’est pas tenu à organiser de nouvelles éditions.
Il peut par exemple changer sa politique d’édition
et rendre ses droits à l’auteur, qui pourra ainsi
les utiliser ailleurs. Ce droit doit être concédé
à l’éditeur en cas de doute, même
en ce qui concerne l’œuvre traduite. Ce qui ne
signifie pas pour autant qu’une maison d’éditions
puisse utiliser une autre traduction, et ceci sans raison
fondée, pour la réédition d’une
œuvre déjà traduite. Il faut cependant
relever que c’est uniquement lorsque sa traduction est
accompagnée de l’œuvre originale qu’un
traducteur peut exploiter celle-ci de façon indépendante
- lorsque les droits lui en ont été rétrocédés.
Traduit par Laurence Wuillemin
Jugement de la Cour fédérale de Justice du 17
juin 2004 – I ZR 136/01
Karlsruhe, le 18 juin 2004
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(Source allemande voir: www.bundesgerichtshof.de) |